Cannes : « la société est plus en avance que le milieu du cinéma »
17 mai 2024 à 9h54 par Estelle Lafont
A l’occasion du Festival de Cannes, on a interviewé Véronique Le Bris qui s’est donnée comme mission de vie de promouvoir la place des femmes dans le cinéma, que ce soit devant ou derrière la caméra. Pour elle du chemin a été parcouru mais il reste encore beaucoup à faire.
Seulement 4 films en compétition à Cannes avec aux commandes une réalisatrice…. Un chiffre « ridicule » estime notre experte qui nous rappelle qu’« avant 2012 il n’y avait aucun film réalisé par une femme présenté au festival (…) maintenant je crois qu’ils ne pourraient pas se permettre d’en avoir zéro mais quatre (…) pour le monde entier ! ».
En France la proportion de films réalisés par des femmes est plus importante, bon point, et elle en sait quelque chose. Véronique Le Bris a fondé le prix Alice Guy en 2017, « juste après l’affaire Weinstein, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose de vraiment valorisant pour les femmes : parler de leur talent » se remémore-t-elle. Alors si ce nom ne vous parle pas, c’est « normal », car « Alice Guy est la première réalisatrice au monde et elle a été effacée par l’Histoire du cinéma » nous explique-t-elle avant de poursuivre sur la volonté d’appeler ce prix de cette manière : « L’idée était d’essayer de transmettre aux réalisatrices d’aujourd’hui la notion de « faire savoir leur savoir-faire » au risque d’être effacées de l’Histoire elles aussi ».
Le but derrière ça est de « réinscrire les réalisatrices d’aujourd’hui dans l’Histoire du cinéma en partant de la première pour leur donner de la force ». Pour le moment uniquement francophone, Véronique le Bris espère un futur plus grand, un rayonnement international pour ce prix qui a réuni près de 5000 votants cette année, avec 5 films en compétiton, choisis par le public.
La représentation des femmes un peu « faussée »
« Hormis les actrices, les femmes n’étaient pas du tout représentées dans les palmarès » rappelle-t-elle, alors que l’institution de la Croisette s’est souvent vue taxée de manque de parité mais la question est « compliquée car il y a toujours eu une présence féminine, les actrices, les mannequins L’Oréal, il y a la mode qui fait un peu écran ».
Alors oui, on ne peut pas dire qu’on ne voit jamais de femmes à Cannes, ce n’est pas du tout le sujet mais ne devrait-on pas les voir autrement que comme présentées depuis toujours ? Et c’est là qu’arrive l’année 2012 « avec un collectif qui s’appelle « la barbe », qui avait monté les marches avec ce slogan « les hommes montrent leurs films et les femmes leurs bobines » se souvient-elle. Une amorce, un début de quelque chose pour la cause des femmes au cinéma.
Le cinéma en retard d’un wagon
« J’ai quand même l’impression que la société est plus en avance que le milieu du cinéma qui est quand même malgré tout un milieu qui est très traditionnel même si il n’a pas cette image là (…) on pense plutôt à des gens de gauche, engagés, qui défendent la veuve et l’orphelin, les libertés réprimées » dit-elle en nous racontant que le festival est d’habitude une vitrine sur plein de sujets mais n’a pas encore choisi cette thématique de la violence sexiste et sexuelle et des violences faites aux femmes, qui, mériteraient leur place au festival.
« Le problème ce ne sont pas les personnes, c’est le système, qui permet ça, a entretenu ça » alors que Véronique Le Bris raconte n’avoir jamais vécu elle-même de traumatisme ou de violence et que « d’un point de vue cynique, si on s’emparait du sujet, d’un point de vue d’économique on gagnerait beaucoup d’argent, car ces comportements coûtent cher à la société »
En attendant, elle estime que cette nouvelle vague MeToo pourrait déferler sur Cannes, « Je pense qu’il y a quelque chose qui se prépare (…) comment ne pas profiter d’une vitrine aussi internationale et magistrale que Cannes pour signaler certaines choses », journaliste de formation, elle nous assure que « si j’avais des résultats d’enquête (sur ces sujets) je ne me priverai pas d’une tribune comme celle du festival de Cannes pour tout dévoiler ».
« Il n’y a presque pas de fumée sans feu » nous a glissé Véronique Le Bris alors qu’actuellement, des rumeurs circulent, notamment sur certaines personnalités dans les films présentées cette année, le festival a commencé cette semaine et s’étend jusqu’au 25 mai prochain, ce qui laisse suffisamment de temps à n’importe quel scandale pour éclater…ou pas.
Merci à notre experte Véronique Le Bris, présente au festival de Cannes, d’avoir répondu à nos sollicitations, retrouvez ci-dessous le podcast de cet entretien. Autrice du livre « 100 grands films de réalisatrices », journaliste, créatrice du prix Alice Guy et du site Internet ciné-woman, c’est une amoureuse du cinéma et une des pionnières de l’inclusion des femmes et de leur visibilité dans le domaine.