Espionnage de salariés : Ikea condamnée à 1 million d'euros d'amende
15 juin 2021 à 9h25 par Iris Mazzacurati
Ikea France a été condamnée à des peines moins lourdes que celles demandées par la procureure.
Crédit : CC by Adam Bishop
Ikea France et un de ses anciens PDG ont été respectivement condamnés, mardi 15 juin, à un million d'euros d'amende et à de la prison avec sursis pour avoir espionné plusieurs centaines de salariés entre 2009 et 2012.
Le tribunal correctionnel de Versailles les a reconnus coupables de "recel de données à caractère personnel par un moyen frauduleux", mais les a condamnés à des peines moins lourdes que celles demandées par la procureure, qui les accusait de "surveillance de masse". Le jugement du tribunal correctionnel de Versailles était très attendu par quelque 120 parties civiles.
"L'enjeu" de ce procès est celui "de la protection de nos vies privées par rapport à une menace, celle de la surveillance de masse", avait déclaré la procureure Paméla Tabardel le 30 mars, en demandant que la réponse pénale soit un "message fort" envoyé à "toutes les sociétés commerciales".
Le parquet avait demandé deux millions d'euros d'amende pour l'enseigne, ainsi que de l'emprisonnement ferme pour un des anciens PDG, Jean-Louis Baillot.
Tout au long du procès qui a duré deux semaines en mars, M. Baillot, PDG de 1996 à 2002, avait nié en bloc avoir ordonné la surveillance des salariés. Mardi, il a été condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis et 50.000 euros d'amende.
Il a également été relaxé de plusieurs chefs d'accusation, comme le délit de recel de complicité de détournement de finalité des informations personnelles ou le recel de violation du secret professionnel.
"M. Baillot est sous le choc, nous envisageons un appel", a déclaré à l'AFP son avocat Me François Saint-Pierre à l'issue de l'audience.
La procureure avait en revanche demandé la relaxe pour Stefan Vanoverbeke, PDG d'Ikea France de 2010 à 2015, contre qui il n'y a "pas d'élément matériel", selon elle.
Un procès parfois houleux
Durant les deux semaines d'un procès parfois houleux dans les Yvelines, Ikea France a été jugée aux côtés de quinze autres prévenus, anciens dirigeants de l'entreprise, directeurs de magasins, fonctionnaires de police et patron d'une société d'investigations privée. Ils se sont renvoyé la responsabilité des accusations, dont la collecte et divulgation illicite d'informations personnelles ou la violation du secret professionnel. Révélée par la presse puis instruite à partir de 2012, cette affaire a mis au jour, selon l'accusation, "un système de surveillance" d'employés et de clients. Ikea France et ses dirigeants de l'époque sont soupçonnés de s'être illégalement renseignés sur leurs antécédents judiciaires, leur train de vie ou leur patrimoine via une société "en conseil des affaires" Eirpace, qui aurait pioché ces données confidentielles dans des fichiers de police.
Les parties civiles, dont de nombreux syndicats, ont demandé par la voix de leurs avocats un "jugement exemplaire" et plusieurs millions d'euros de dommages et intérêts.
Recours illégal au STIC ? De l'"imagination et (de l')ingéniosité"
Jean-François Paris, l'ancien "Monsieur Sécurité" d'Ikea France de 2002 à 2012, a reconnu à la barre des "contrôles de masse" d'employés. Il a déclaré avoir utilisé les services d'Eirpace, dirigée par Jean-Pierre Fourès, à qui il transmettait des listes de personnes "à tester". Ancien membre des renseignements généraux, ce dernier est notamment accusé d'avoir eu recours au STIC (Système de traitement des infractions constatées) par l'entremise de policiers. A la barre, il avait expliqué avoir usé "d'imagination et d'ingéniosité" pour dénicher ces données légalement, avec un aplomb et une malice qui avaient provoqué une franche hilarité durant l'audience. "Les retours des recherches de M. Fourès ne permettent pas d'établir de lien avec les fichiers de police", a estimé le conseil de M. Paris, Etienne Bataille, dédouanant ainsi son client de toute demande de recherche illégale. Le parquet avait requis trois ans de prison à l'encontre de Jean-François Paris, dont deux avec sursis. Devant le tribunal, il a répété avoir suivi une consigne de l'ex-PDG Jean-Louis Baillot, ce que ce dernier a contesté. Le conseil de M. Baillot, Me François Saint-Pierre, avait exhorté le tribunal à "s'intéresser aux preuves matérielles" plutôt qu'aux "témoignages variables", arguant que le dossier est vide de tout mail échangé entre Jean-François Paris et son client concernant les activités confiées à Eirpace. Contre Jean-Pierre Fourès, le ministère public avait requis un an de prison ferme. Son avocat, Marc François, avait plaidé la relaxe, arguant que "sur 18 magasins et 338 noms (transmis), seuls 20 avaient été passés au STIC".
Ingka Group, qui regroupe environ 90% des magasins Ikea sous franchise dans le monde, a assuré prendre "très au sérieux la protection des données des salariés et des clients", a indiqué un porte-parole dans une déclaration écrite à l'AFP. "Nous allons maintenant examiner en détail la décision du tribunal et déterminer si et où des mesures supplémentaires sont nécessaires", a ajouté Ingka Group.
(Avec AFP)